Merci à mon équipe de traducteur, Stef en particulier, pour leur travail sur ce texte en anglais du nationaliste Greg Johnson, dont je vous avais parlé dans cette vidéo.
Voici le texte de Greg, à propos de l’attentat meurtrier commis en Russie sur la fille de l’idéologue Douguine, Darya :
” Le 20 août, Darya Douguine, fille de l’idéologue géopolitique Alexandre Douguine, a été tuée dans l’explosion de sa voiture, alors qu’elle quittait un festival où son père donnait une conférence. La bombe visait probablement son père, qui devait partir dans la même voiture qu’elle et qui aurait changé d’avis au dernier moment.
Ma première réaction a été de penser qu’en Russie, certains prennent les idées très au sérieux. Mais en réalité, Douguine était probablement visé à cause de son rôle réel ou supposé dans la politique du Kremlin.
J’ai toujours été sceptique vis-à-vis de Douguine. Sur la base de ses livres La Quatrième théorie politique : La Russie et les idées politiques au XXIe siècle et Heidegger: The Philosophy of Another Beginning ainsi que de ses articles et interviews, j’en suis venu à la conclusion que Douguine et moi avons lu beaucoup d’auteurs en commun et avons en grande partie les mêmes objets de détestation, mais que sur l’essentiel, nous en sommes arrivés à des conclusions diamétralement opposées. Je suis un nationaliste identitaire blanc. Douguine est anti-Blancs et anti-nation. Il est l’avocat d’un impérialisme russe revanchard et donc un soutien acharné de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, que je condamne sur des bases ethnonationalistes. L’Ukraine est la patrie des Ukrainiens, et la Russie doit s’en tenir éloignée.
Je suis également sceptique vis-à-vis de l’influence de Douguine. Il a été vendu comme le génie philosophique et géopolitique du régime de Poutine. On a dit de Douguine qu’il était « le cerveau de Poutine » (comme si Poutine n’en avait pas un lui-même) et le « Raspoutine de Poutine » (comme si ce dernier était pieux et faible d’esprit). Douguine fait clairement partie de l’ordre politique de la fin du communisme et du post-communisme, mais je soupçonne que son impressionnante réputation soit principalement le fruit de sa propre création, puisqu’elle trouve son origine chez ses éditeurs et autres promoteurs. Ces qualificatifs ont été répétés à la fois par ceux qui voulaient le déifier, et par ceux qui voulaient le diaboliser.
Il n’y a pourtant pas de preuve tangible que Douguine ait une quelconque influence sur le Kremlin. Malgré leur caractère extrême et leur touche ésotérique, les idées de Douguine sur la géopolitique et sur la politique extérieure de la Russie sont relativement répandues. Douguine n’occupe pas de poste prestigieux. Son mécène principal est l’oligarque Konstantin Malofeev. Il est bien possible en revanche qu’il ait été visé et que sa fille ait été tuée à cause de la réputation de « cerveau » qu’il a lui-même soigneusement construite.
La réaction qu’on peut avoir à l’égard de l’assassinat qui visait Douguine dépend bien sûr de qui l’a commis. Mais on ne sait pas qui l’a commis, et il est possible qu’on ne le sache jamais. Il y a quantité de suspects avec des moyens et des mobiles, mais ils font partie de trois catégories principales. D’abord, il y a les rivaux et ennemis de Douguine au sein de la classe dirigeante Russe, y compris au sein de son propre mouvement Eurasien. Ensuite il y a les ennemis de Douguine en Ukraine. Et enfin, il y a les services secrets étrangers.
Les deux dernières options paraissent moins probables. Il est coûteux et risqué d’assassiner son ennemi sur un sol étranger, et si les Ukrainiens ou les services secrets étrangers étaient prêts à assumer une telle escalade du conflit, ils auraient sans doute pu viser une cible d’une autre envergure que Douguine. Bien sûr, ils ont eux-mêmes pu croire à la hype Douguine. Mais viser des cabinets ministériels, des hauts gradés militaires ou de grands industriels aurait causé plus de peur et plus de troubles pour le régime. Peut-être que ces cibles sont mieux protégées que Douguine. Mais ne serait-ce qu’au festival que Douguine quittait, il y avait sans doute des cibles plus tentantes. Il paraît donc plus probable que Douguine ait été visé par des ennemis de l’intérieur, qui auraient eu un accès facilité à lui. Douguine serait une petite cible pour des acteurs internationaux, mais apparaîtrait comme une cible de taille pour des personnes de chez lui, et en particulier pour des rivaux au sein de son propre camp.
L’incertitude quant à l’identité des auteurs de l’attentat n’empêche pas les gens de commenter l’affaire pour autant. Comment laisser un meurtre si spectaculaire sans suites ? Le Kremlin a accusé les Ukrainiens, comme c’était attendu. Douguine lui-même les a accusés. Il y croit sûrement, puisqu’il faudrait être un monstre pour instrumentaliser la mort de sa propre fille pour des points politiques faciles. Les Ukrainiens, de manière toute aussi attendue, ont accusé les Russes.
Les réactions sur internet se classent dans deux camps, pour schématiser : prières et espoirs contre huées et railleries. En général, ceux qui rendent hommage à Darya Douguine sont anti-Ukraine et sont loin de la Russie. Ceux qui connaissaient Darya Douguine et expriment leur émotion sont un cas à part. Mais quand un grand nombre d’inconnus donnent de la voix de part et d’autre, il en résulte un étalage de vertu ostentatoire de mauvais goût.
Ceux qui considèrent Douguine et sa fille comme de simples intellectuels réagissent à cet assassinat de la même façon qu’ils ont réagi à la tentative d’assassinat de Salman Rushdie : comme envers une tentative d’utiliser la force plutôt que la raison pour traiter une opposition intellectuelle.
Ceux qui considèrent Douguine et sa fille plutôt comme des acteurs politiques plutôt favorables à l’invasion en Ukraine ont réagi comme des Irakiens ou comme des pacifistes Américains réagiraient si Liz Cheney était tuée par une bombe visant son père. Les Douguine, père et fille, ont célébré la mort d’innombrables pères et filles ukrainiens, alors il n’est pas étonnant que certains réagissent ainsi, en miroir.
Maintenant, quel est mon avis sur cet assassinat ? C’est compliqué. Mon avis dépend de qui l’a fait et pourquoi, ce qu’on ne saura sans doute jamais. Si Douguine était visé pour ses idées, ce serait scandaleux, puisque je crois que les désaccords intellectuels doivent se régler non pas par la force, mais par la raison. Si Douguine était visé en tant qu’acteur politique par ses compatriotes Russes, ce ne sont évidemment pas des manières correctes de gérer un pays, mais à ce moment-là, c’est un jeu auquel Douguine lui-même consentait à jouer. Si Douguine a été visé en tant que belliciste par les Ukrainiens ou leurs alliés, eh bien c’est le jeu de la guerre. Les guerres ne sont bien évidemment pas un type d’interaction souhaitable avec ses voisins, mais là aussi c’est un jeu que Douguine avait choisi de jouer et que sa fille a choisi de suivre. Si l’idée vous est insoutenable, ne tirez pas sur le messager. Blâmez la guerre elle-même. Ce n’est qu’un aperçu des horreurs qu’a subies l’Ukraine ces 6 derniers mois.
Comment notre mouvement devrait se positionner par rapport à cet assassinat ? Ceux qui connaissaient la victime devraient pouvoir s’exprimer. Mais j’aurais aimé que les autres aient gardé un silence digne, plutôt que d’instrumentaliser cet événement pour des articles racoleurs, ou pour lancer des attaques pleines de haine sur les adversaires. Personnellement, je pense que, plutôt que la moquerie, la compassion est la réponse appropriée à cette tragédie, bien que je comprenne ceux qui préfèrent orienter leur compassion vers les Ukrainiens.
Ainsi que j’ai pu l’écrire dans mon essai sur Elephant Man de David Lynch :
Nous avons tous une curiosité malsaine pour les malheurs qui s’abattent sur les autres : accidents, maladies, difformités… L’horreur provient de la satisfaction de cette curiosité. Partant de là, il y a deux moyens de gérer cette horreur : la moquerie ou la compassion.
Comme Anthony M. Ludovici l’écrivait dans The Secret of Laughter, le rire consiste à se glorifier de sa supériorité. Le rire forcé ou nerveux, quant à lui, est une tentative de se rassurer sur sa supériorité.
Mais l’horreur que nous ressentons est finalement fondée sur la prise de conscience que le malheur peut s’abattre sur nous tous… aucun d’entre nous n’est insensible à un malheur ou à un autre. La compassion est la reconnaissance de ce fait : on se reconnait dans l’autre et on a de l’empathie pour l’autre. La moquerie est un mensonge et une évasion, la compassion est un aveu de vérité. “