Le genre de moments que seul Raphaël Izarra sait produire sur sa chaîne. Une jeune femme lit un de ses textes, joyeusement, entourée de ses amies qui écoutent avec attention et bienveillance.
Le texte lu est publié dans le recueil Été, que nous avons sorti il y a quelques années.
Sous cette vidéo, vous trouverez le texte de cette mini-nouvelle dans son intégralité.
“Le nez dans ses tuyauteries, les bottes dans la fange et les mains plongées dans le bidet, le dépanneur de la ménagère en larmes est un trouvère des temps modernes. Qu’il a fière allure dans sa combinaison maculée de suif lorsque d’un pas lent et assuré, noble et serein il sillonne quelque ruelle aux égouts bouchés empestant la marée montante ! Mais miracle ! Ce parfum de mystère qu’il laisse sur son sillage suffit à couvrir toute odeur impie : au passage du plombier les coeurs s’apaisent. Messie des Dupont trahis par leur évier, fécondateur des caniveaux asséchés, libérateur des canalisations obstruées, sauveur des bons-à-rien empêtrés dans leur ignorance des systèmes d’écoulements, il va partout répandre la bonne nouvelle : “C’est l’plombier !” car en toutes saisons le plombier refait la pluie et défait la sécheresse… A son côté dépasse, tel un luth fatigué mais glorieux, sa fameuse, mythique, étincelante clé de douze ! En fait, une véritable lyre d’argent faisant office de sceptre : le plombier est un roi. Le roi des lavabos récalcitrants. Maître incontesté quant aux subtilités des lois de la mécanique des fluides de nos salles de bain, il surgit parfois de la baignoire, ruisselant et vainqueur, tel Poséidon au milieu des flots après des batailles dantesques au fond des abysses contre de fourbes adversaires. Monstres chevelus tentaculaires, flasques et malodorants qui n’ont d’autres sinistres desseins que d’empêcher le passage de l’onde pure en ce bas monde… Voilà les vils ennemis contre lesquels se bat mon plombier, ce héros. Ne serait-ce que pour cette unique raison, l’ouvrier qui patauge dans les eaux usées de ma cuisine m’inspire les transports de l’âme les plus élevés. C’est un artiste de l’onde qui, entre planchers et plafonds, fait des merveilles de ses dix doigts au lieu de chanter stérilement comme le font ces incapables de faiseurs de mots ! Les constellations de ce chantre des conduits, faites de vis, d’écrous, d’anneaux de fer et de joints de caoutchouc sont de véritables diamants d’utilité quotidienne, des trésors de pragmatisme triomphants, des pépites utilitaires qui rendent nos existences douces et confortables. Elles valent bien le firmament fumeux et inaccessible de ces imbéciles de bardes verbeux ! Un peu magicien, un peu filou, mon plombier sait mieux que personne parler aux femmes : à force de savantes séductions technico-manuelles il parvient souvent à les convaincre de le laisser sonder deux voire trois de leurs tuyaux pour le prix d’un seul ! Puis, satisfait de ses oeuvres sacrées il repart vers son olympe de gaines et de robinets, heureux, traînant derrière lui des histoires fabuleuses, légendes vraies ou fausses mais toujours embaumées d’effluves d’eaux de vaisselle qui lui confèrent respect, prestige, renommée. Et s’éloigne de son pas impassible, le torse altier, l’air énigmatique, avant de disparaître tout à fait dans la brume du soir.”
Un livre de Raphaël Zacharie de Izarra