On sait désormais ce que signifient les quatre lettres « SLUT » figurant sur la dernière page du manuscrit de John Steinbeck, publié en 1939.
Il aura fallu que les Éditions des Saints Pères, spécialisées dans l’édition de fac-similés de grands textes littéraires, s’intéressent au chef-d’œuvre de l’écrivain John Steinbeck, Les Raisins de la colère, pour qu’une énigme de plus de 80 ans trouve enfin une réponse.
La première image qui vient à l’esprit du lecteur découvrant le majestueux manuscrit des “Raisins de la colère” – Steinbeck rédigea le roman dans un agenda de très grand format, avec onglets alphabétiques reproduits dans l’ouvrage – est celle de l’écrivain au labeur, dans le bureau minuscule de sa maison de Greenwood Lane, à Los Gatos, Le Lac des Cygnes en musique de fond. L’homme a déjà publié “Of Mice and Men” (Des Souris et des Hommes), il est connu, acclamé par la critique et le public, mais il est exténué et envahi par les doutes. Avant de se lancer dans ce qui deviendra un chef-d’œuvre qui lui vaudra le prix Pulitzer en 1940, Steinbeck a jeté à la corbeille plusieurs ébauches qu’il estimait ratées.
Pendant cinq mois, il s’astreint à plusieurs heures d’écriture par jour, tâchant de s’extraire des sollicitations et du vacarme de son voisinage résidentiel. Carol, sa femme, veille sur lui. Elle est un pilier dans la progression littéraire de John : chaque jour, elle récupère le manuscrit afin de le dactylographier. C’est pour elle qu’il inscrit d’ailleurs sur la première page : « Big Writing ». Car sa graphie est si petite et serrée qu’elle lui a fait promettre de faire cette fois un effort… Ou doit-on lire « Big » au sens d’important ? En effet, Steinbeck se sent investi d’une mission, frappé par le désespoir des familles venus tenter leur chance en Californie et par les images cauchemardesques de Visalia et Nipomo, villes ravagées par les inondations et la famine entre février et mars 1938.
L’importance de Carol pendant ces cinq mois d’écriture est fondamentale : les traces au crayon rouge visibles dans le manuscrit, c’est elle. Elle, qui repère les césures entre les paragraphes et les dialogues. Elle encore, qui trouve le titre finak du roman le 2 septembre. Steinbeck lui offre donc le manuscrit qu’elle vendra plus tard, et est désormais conservé à l’université de Virginie depuis 1960.
Mais que veut dire ce fameux “SLUT” écrit à côté du mot “FIN” ?
Ici se trouve une énigme qui était irrésolue jusqu’à la parution du fac-similé. Elle est contenue en un mot un seul, sur la dernière page du manuscrit, en lettres rouges et grattées mais cependant visibles : « SLUT ». Ce terme, si peu élégant, est juxtaposé au mot « END » de la main de Steinbeck. Qui l’y inscrivit, quand et pourquoi ? Était-ce Carol, dans un mouvement de colère contre son époux ? Un nom d’oiseau adressé à Rose de Sharon, héroïne et sujet de la dernière scène du livre qui fit scandale à sa parution ? Un archiviste maladroit ? Autant de questions auxquelles les spécialistes ne trouvaient aucune réponse.
C’est la parution d’un article par “The Guardian”, à Londres, sur cette nouvelle publication des Éditions des Saints Pères, qui est à l’origine d’une explication. Un chercheur de l’université de Stockholm contacte en effet les Éditions des Saints Pères et Susan Shillinglaw, spécialiste ayant conseillé la maison, avec un nouvel éclairage à apporter à l’affaire. Il existe en effet une expression suédoise utilisée dans de nombreux types de publications et en particulier pour les livres d’enfants, pour annoncer la fin : il s’agit de « SLUT »… Or, à l’été 1937, les Steinbeck visitent la Suède ; ils sont très amis avec le peintre Bo Beskow, dont la mère est par ailleurs auteur jeunesse… et voilà le fin mot de l’histoire !