Un article paru sur le site RAGE et que je me permets de partager ici. L’auteur écrit sous pseudonyme, Montcalm d’Espernay.
Dans Les voix de la liberté, les écrivains engagés au XIXe siècle (Seuil, 2000), l’historien Michel Winock conclut le chapitre qu’il consacre à Auguste Comte en ces termes : « Etrange destinée que cette œuvre irriguant des terrains aussi contraires que ceux du nationalisme et du républicanisme radical. Concilier l’Ordre et le Progrès ne va pas de soi (…) ». Cette difficile articulation semble ne rien avoir perdu de son actualité.
La science politique a tendance à attribuer, schématiquement, deux ensembles de valeurs aux pôles structurant la vie politique occidentale depuis la fin du XVIIIe siècle : d’un côté, l’ordre, la tradition, le respect des hiérarchies établies et des structures héritées, qui seraient l’apanage de la droite ; de l’autre, le progrès social, l’expression de l’individualité, le libéralisme en matière de mœurs, qui s’inscriraient dans le champ de la gauche.
Partant, l’immense majorité des personnes politisées se sentent obligées d’adhérer à une sorte de « forfait idéologique ». S’identifier à la droite contraindrait à épouser toutes les causes ou les idéaux associés à cette inclination. L’on devrait ainsi, et d’un même mouvement, défendre le principe d’identité, lutter pour assurer la continuité de notre civilisation, porter haut les traditions pluriséculaires de notre peuple, rejeter sans ménagement l’immigration et la secte répugnante qu’elle charrie ou encore abhorrer la perspective du Grand Remplacement tout en consentant au conservatisme social et moral ou à la frilosité, en matière d’évolution technologique. Les tenants de cette conception de la politique prétendent faire montre de cohérence idéologique.
J’affirme, pour ma part, qu’il est possible de se réclamer d’une droite férocement occidentaliste, très attachée aux traditions et à l’idée de hiérarchie en ne sacrifiant rien au progrès moral, social et technique. Mieux ! Je considère que ce dernier constitue l’une des principales expressions de l’occidentalité. En tant que produit de son histoire, il est un élément constitutif de l’identité (et de la supériorité) civilisationnelle de l’Occident, tel qu’il a été défini par Samuel Huntington dans Le Choc des civilisations (Odile Jacob, 1997). En un mot comme en cent : le progrès constitue la plus ancienne tradition occidentale.
Au fondement de l’esprit occidental : le mythe de Prométhée
Lors d’une conférence tenue en septembre 2021 au Collège de France, l’écrivain Alberto Manguel a présenté les mythes grecs comme « la pierre de touche qui prête aux peuples de l’Europe une identité commune intuitive ». Diffusées, depuis la Grèce mycénienne, à l’ensemble du continent, ces histoires d’une saisissante profondeur philosophique peuvent effectivement être tenues pour la matrice intellectuelle et spirituelle de l’Occident. L’un de ces mythes, celui de Prométhée, ainsi qu’il est relaté dans la Théogonie et Les Travaux et les Jours d’Hésiode, dans le Prométhée enchaîné d’Eschyle ou dans le Protagoras de Platon, fait de la puissance créatrice le premier attribut de l’humanité. Pénétrés de cette idée, des générations d’Occidentaux ont, depuis trois millénaires, œuvré à l’amélioration de la condition humaine.
Trois millénaires d’excellence scientifique
Dans Human Accomplishment (HarperCollins, 2003), le politiste américain Charles Murray s’essaye à une recension des plus importantes réalisations scientifiques et artistiques de l’humanité. Sa conclusion est sans appel : du IXe siècle avant Jésus-Christ au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la quasi-totalité des principales découvertes scientifiques est le fait d’Européens et de Nord-Américains.
De la machine d’Anticythère, seul calculateur analogique antique connu, à la découverte de la pénicilline et du neutron, en 1928 et en 1932, la science occidentale a constitué le principal moteur du progrès humain. On ne citera jamais assez ces vers du Fardeau de l’homme blanc de Rudyard Kipling (1899) :
« Assumez le fardeau de l’homme blanc
Les sauvages guerres de la paix
Nourrissez la bouche de la famine
Et faites que cesse la misère »
Rudyard Kipling, Le Fardeau de l’homme blanc
Un examen minutieux de l’histoire des sciences à l’époque moderne permet de prendre la mesure de ce que le genre humain doit au génie européen. Dans son livre Civilisations : l’Occident et le reste du monde (Saint-Simon, 2014), l’historien britannique Niall Ferguson se livre à un inventaire des « vingt-neuf découvertes les plus importantes réalisées entre 1530 et 1789 ». Toutes sont le fruit des recherches européennes.
La suprématie scientifique occidentale se vérifie encore à l’époque contemporaine. Il n’est qu’à penser aux découvertes d’Ampère (électronique de la matière), d’Edison (ampoule), de Pasteur (vaccin antirabique), de Pierre et de Marie Curie (radioactivité), de Niepce (photographie), des frères Lumière (cinéma), de Morse (télégraphe associé à un alphabet spécifique), de Bell (téléphone), de Branly (précurseur de la radio) ou, plus près de nous, à celles des frères Wright (avion), de Nixon (sonar), de Baird (télévision), de Hopps (pacemaker), de Watson et de Crick (structure de l’ADN), de Maiman (laser), de Hoff et de Hyatt (microprocesseur), de Lauterbur et de Mansfield (IRM), de Berners-Lee (le world wide web) ou des scientifiques du CERN (boson de Higgs) pour s’en convaincre.
Pistes explicatives
Cette tradition du progrès scientifique occidental a été abondamment interrogée. Elle est classiquement attribuée à la rationalité grecque, au principe chrétien de séparation entre spirituel et temporel, à l’individualisation procédant de la modernité politique, au capitalisme ainsi qu’à l’érection du doute et de l’autocritique comme moyens d’accès à la vérité. Dans Le Secret de l’Occident (Champs, 2008), le physicien suisse David Cosandey explique le dynamisme techno-scientifique occidental par la rencontre de la vitalité économique du continent européen et de sa division politique stable. Cette configuration « méreuporique », ainsi que la qualifie l’auteur, serait elle-même le produit de la géographie du continent européen, en laquelle Cosandey reconnaît une « thalassographie bien articulée ».
Ces pistes explicatives, pour diverses qu’elles apparaissent, doivent convaincre tout Occidental de cette vérité : le progrès scientifique est le produit de la science européenne et le développement de cette dernière tient à des facteurs endogènes. Nos enfants, en particulier, doivent être protégés de l’idée fausse et mortifère selon laquelle l’Occident ne devrait son succès historique qu’à des apports extérieurs. Une certaine littérature a laissé croire à des générations d’Occidentaux que leur science, leur art et leur philosophie devaient tout à de prétendues « lumières » orientales. Combien d’ouvrages, combien d’émissions de télévision et de podcasts ont été, ces trois dernières décennies, consacrés au fantasmatique « âge d’or d’Al-Andalus » ? Récemment, c’est encore un livre signé d’un obscur mathématicien indien qui prétendait mettre au jour les « sources islamiques et indiennes » du savoir européen.
Qu’on s’en convainque : ces assauts procèdent d’une volonté de déstabilisation des mentalités occidentales. Il s’agit de persuader les esprits européens et nord-américains de la médiocrité de leur civilisation, assimilée à une vulgaire pillarde. Cette idée, dont ont pourtant fait litière la plupart des historiens, à commencer par Sylvain Gouguenheim dans son Aristote au mont Saint-Michel (Seuil, 2008), est, hélas, très ancrée dans les esprits de nos adolescents. Je suis stupéfait de constater combien mes élèves sont, au moment de leur entrée au lycée, convaincus que les mathématiques, la physique, l’astronomie, la philosophie, quand ils ne font pas simplement allusion aux habitudes d’hygiène, auraient été importées.
Le basculement est total : d’Arabes, d’Africains et de Chinois tenus pour primitifs il y a encore un gros demi-siècle, nous sommes passés à la croyance d’un Occident fécondé, de tout temps, par le génie d’autres peuples. Il faut désormais l’affirmer haut et fort, parce que cela est vrai : oui, l’Occident est à l’origine du progrès humain et, oui, ses enfants doivent en être fiers !
À mon modeste niveau, je fais de chacun de mes cours une démonstration de la grandeur de notre civilisation. Je me félicite d’insuffler, dans nombre de petits cœurs occidentaux, une fierté nouvelle et me moque de froisser la susceptibilité d’une fraction, hélas toujours plus importante, de rejetons biberonnés à l’anti-occidentalisme et à l’arrogance des perdants de l’histoire.
En finir avec le conservatisme
Qu’on ne s’y trompe pas : le discours anti-occidental se nourrit également des arguments d’une droite conservatrice, ontologiquement hostile au progrès. Combien de ses figures relayent l’idée d’une prétendue « décadence » de l’Occident ? Combien, tel Patrick Buisson dans une interview tout aussi récente qu’abjecte, prétendent que les civilisations « traditionnelles » (comprenez « arriérées »), en ce qu’elles auraient conservé un rapport puissant au sacré et à des codes sociaux archaïques, seraient, par essence, moralement supérieures à un Occident décrit, ad nauseam, comme matérialiste et déclinant ? Il faut le comprendre : le conservatisme est une impasse.
Les conservateurs ne sont pas des alliés de l’Occident. Ils le conspuent sans cesse et, partant, fournissent des armes rhétoriques à ses adversaires les plus acharnés. Ils régalent tous les Poutine, les Xi Jinping et les musulmans (oui, j’écris bien « les musulmans ») du monde en se faisant les contempteurs pavloviens de la mécanisation et de la numérisation du travail, des évolutions sociétales ou biomédicales. Pire ! Leurs combats d’arrière-garde affaiblissent notre civilisation. Combien des centaines de milliers d’opposants au mariage homosexuel ont défilé, ces dix dernières années, contre le Grand Remplacement ? Comment expliquer le silence et l’inaction de ces belles âmes, si promptes à mobiliser des cohortes entières de bus dans le but de faire pièce à l’extension d’une liberté, dans un contexte de déprise démographique de l’Occident ? Comment ces personnes, prétendument attachées à la pérennité de notre civilisation, ont-elles pu s’opposer, hier, à la FIV et, aujourd’hui, à la PMA et à la GPA, principalement pratiquées par des Occidentaux qualifiés ? Faut-il l’écrire noir sur blanc ? Tous les leviers permettant l’accroissement du nombre d’enfants occidentaux doivent être actionnés. Tous.
C’est la raison pour laquelle il apparaît plus que nécessaire de s’affranchir des « forfaits (ou « carcans », utilisez le terme qui vous siéra) idéologiques ». Non, la défense de l’Occident n’impose pas de soutenir les régimes les plus frustes et attardés du monde. Non, les techniques de procréation médicalement assistées ne sont pas des signes de décadence de notre civilisation. Il s’agit, au contraire, d’outils dont elle se dote afin d’assurer sa pérennité. Ils sont une des manifestations de son génie.
Le monde a besoin de l’Occident parce que l’Occident a fait du progrès scientifique, technique et humain son objectif premier. Une humanité plus heureuse ne peut se dispenser de la recherche et des découvertes occidentales.
À ma connaissance, seule une poignée d’occidentalistes prométhéens promeut cette conception de la droite véritable. Cette offre politique, pour réduite qu’elle apparaisse à l’heure où j’écris ces lignes, constitue néanmoins un réconfort pour nombre de jeunes Occidentaux. Puissent, dans les temps à venir, ces conceptions infuser, leur audience s’élargir et la grande cause de l’Occident progresser.