Renaud Camus et Wikipedia – Texte extrait du journal de Camus du 4 décembre 2020

Plieux, vendredi 4 décembre 2020,une heure moins vingt du matin (le 5).

Le comble du luxe, c’est de disposer d’un paranoïaque de substitution, qui remplisse cette fonction à votre place, et vous en libère. Monsieur mon bibliothécaire est convaincu que tout le problème me concernant, et qui m’empêche d’accomplir quoi que ce soit, notamment en matière politique, ce sont les articles Wikipedia traitant de moi, directement ou indirectement, qu’il s’agisse de ma fiche personnelle ou de celle qui est relative au “Grand Remplacement”. Ces articles donnent de moi une image détestable et me rendent indéfendable par mes amis et partisans, car on les leur oppose constamment, comme s’ils étaient vérité d’évangile, la loi et les prophètes. Les personnes qui entretiennent de moi une idée moins pétrie de haine pourraient corriger les allégations de Wikipedia dans un sens moins hostile, et elles tentent parfois de le faire : mais leurs corrections sont aussitôt rejetées par un comité de vigilance, qui en profite pour redoubler de férocité à mon égard. Toute note un peu moins malveillante est aussitôt effacée, et incontinent remplacée par une autre, plus ravageuse et diffamatoire que celle qu’elle remplaçait.

M. de Verrouarde m’explique que la société des auteurs et correcteurs de Wikipedia est extrêmement hiérarchisée et que les seules puissances véritables y sont les “modérateurs”, qui disposent des moyens de faire taire quiconque arbore des positions qui leur déplaisent. Ces modérateurs ont obtenu leur titre à l’issue d’une longue pratique, et il faut au moins un an d’interventions aussi régulières que les leurs, sur quelque sujet que ce soit, pour être en mesure de leur tenir tête. Notre camp ne peut aligner personne qui détienne des pouvoirs comparables à ceux des intervenants systématiques, systématiquement hostiles. Mon bibliothécaire a en tête des vues assez arrêtées, qui d’ailleurs sont les mêmes que les miennes, sur l’identité des individus qui constituent ou animent ce formidable comité de vigilance, contre lequel il est presque impossible de lutter. Ce sont des maîtres du brouillage de pistes internétiques, et de prodigieux virtuoses de l’alias. Il suffit qu’ils soient deux ou trois, le maître et ses âmes damnées, pour constituer la plus redoutable camarilla de noircissement systématique qui ait jamais opéré. J’avais choisi de les ignorer, par dégoût, et je ne regarde jamais de leur côté. Verrouarde est néanmoins persuadé que tout ce que je puis faire d’autre part, écrire, exprimer, penser, est vain tant que c’est nécessairement passé au crible, pour le public, de la souveraineté de ces gens-là, mes harceleurs, sur des articles où tout un chacun va s’informer avec confiance.

Le paradoxe est que j’ai moi-même largement recours à Wikipedia, dix ou vingt fois par jour (encore à l’instant, pour les classements de la bibliothèque : Étienne-François de Lantier, 1734-1826, auteur des Voyages d’Anténor, 1798), et qu’il m’arrive de lui envoyer un peu d’argent. J’interviens même quelquefois dans certains articles, non pas anonymement bien sûr — l’anonymat est l’objet de ma part d’une aversion insurmontable —, mais sans être jamais parvenu, par incompétence technique, à m’assurer un statut de contributeur officiel : presque toujours mes ajouts, très brefs, portent sur des peintres ou des sculpteurs, pour signaler des œuvres d’eux à tel ou tel endroit, non répertoriées jusqu’alors. Mais j’imagine que les articles portant sur les périodes éloignées sont moins exposés à servir de champ de bataille, et donnent moins lieu à des cabales et des appropriations ennemies, que ceux qui ont pour sujet des contemporains, surtout “controversés”. 

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