L’interview qui suit est un copier/coller de ce qui a été publié dans Causeur il y a quelques jours.
Jean-Baptiste Roques : Le terme de “grand remplacement” vous a rendu presque mondialement célèbre. Lors d’un attentat récent, à Christchurch, vous avez été cité dans la presse mondiale comme un possible inspirateur du terroriste. Cela a donné à ce terme une résonance qu’il n’avait pas jusqu’alors. Donc c’est une gloire paradoxale. Comment l’avez-vous vécu ?
Elisabeth Lévy : La question de Jean-Baptiste est intéressante, mais, avant toute chose, je voudrais que vous nous donniez votre définition du “grand remplacement”.
Renaud Camus : Une gloire paradoxale, c’est le moins que l’on puisse dire… Le grand remplacement c’est tout simplement le changement de peuple et de civilisation dans la durée d’une ou deux générations, dans des régions du monde particulières, très notablement en France mais pas seulement. Le grand remplacement n’est évidemment qu’une toute petite partie de ce que j’appelle le remplacisme global.
Elisabeth Lévy : Pourriez-vous expliquer ? Le grand remplacement c’est le changement ethnique en somme ? Et le remplacisme global, alors, qu’est-ce que c’est ?
Renaud Camus : Nous divergerons sur ce point : le remplacisme global, c’est un totalitarisme. C’est un des deux totalitarismes rivaux à l’œuvre aujourd’hui dans le monde, en tout cas sur une partie considérable de la Terre. Je crois profondément que le geste central de la post-modernité est le remplacement. Le remplacement de tout. La littérature par le journalisme, le journalisme par le fact-checking ou par les fake news, le remplacement de l’art par la culture, de la culture par l’information, du réel par le faux, de Venise par Venise à Las Vegas…
Elisabeth Lévy : C’est la liquidation en fait ?
Renaud Camus : Ah ! Le concept de liquidation ne m’est certes pas dû. Je suis un grand admirateur de Bauman et de la liquéfaction ! Mais je crois qu’il y a des liens très étroits entre la liquéfaction et hélas, la liquidation, oui.
Jean-Baptiste Roques : Pourriez-vous nous expliquer le lien que vous faites ensuite avec votre combat contre la PMA pour toutes, ou la PMA sans père, puisque vous étiez présent à la manifestation le weekend dernier ?
Renaud Camus : Absolument oui, je suis de tout cœur avec les organisateurs de cette manifestation. J’approuve absolument le combat contre la PMA qui me semble presque l’emblème, la mise en abyme de ce que j’appelle le remplacisme global, c’est-à-dire le remplacement des pères et bien entendu de la paternité, de l’héritage, de la lignée, de toutes ces choses-là. Et l’industrialisation de l’homme qui est au centre de ce remplacisme global. Le père du remplacisme global à mes yeux, le Marx de cette idéologie – c’est un tout petit Marx, Marx étant un génie foudroyant – c’est Taylor ! Taylor a quand même une influence colossale et au fond plus grande que Marx. Il est le père de la taylorisation, c’est-à-dire du remplacement de tout par sa forme simplifiée, standardisée, homologuée. Le prophète de ce père du remplacisme global est peut-être Henry Ford et son système de production standardisé.
Jean-Baptiste Roques : Certains manifestants pensent que vous-même vous avez été un remplaciste en étant un chantre de l’homosexualité qui est, à leurs yeux, une forme de remplacement de la sexualité “hétéro-normée” comme on dit aujourd’hui !
Renaud Camus : Non, l’homosexualité n’est pas un élément de remplacement, l’homosexualité est aussi ancienne que l’hétérosexualité. Elle a produit sa littérature, sa poésie, son art qui n’a rien à envier à l’autre sinon peut-être quantitativement et encore… je ne vois pas du tout en quoi l’homosexualité serait un élément de remplacement.
Elisabeth Lévy : Je voudrais revenir d’abord sur ce terme de grand remplacement. C’est un de ceux qui vous est le plus reproché. Alain Finkielkraut a très bien noté qu’on a le droit d’en parler pour l’applaudir en quelque sorte. Il citait Rokhaya Diallo ou Leonora Miano qui disent « ne vous inquiétez pas, ça va changer mais vous devez accepter ce changement ». Mais ce qu’on vous a reproché, c’est l’idée qu’il y aurait derrière une intentionnalité. Vous nous dites qu’en fait il n’y en a pas. Des individus sont pris dans des phénomènes, que c’est un fait, en quelque sorte ?
Renaud Camus : Oui absolument, je n’ai jamais fait la moindre allusion à l’intentionnalité. Dans le remplacisme global il n’y a pas d’intentionnalité sinon des enchaînements, des embranchements fatals à partir du moment où l’on veut que les choses coûtent moins cher, soient standardisées, homologuées et qu’on ait une conception économique, industrielle et sans doute croissantiste du monde. Si on nomme quelque chose, j’ai avancé le concept de davocratie, c’est à dire la gestion du monde par Davos, car on sort du politique. C’est un des éléments qui font que Macron est très représentatif [du remplacisme comme évoqué précédemment NDLR], c’est l’élimination magistralement accomplie de la strate politique de la gestion du parc humain, c’est-à-dire le remplacement par la gestion.
Elisabeth Lévy: Vous avez parlé tout à l’heure de deux totalitarismes, je suppose que vous vouliez parler du totalitarisme islamique, mais quel est le deuxième ? Celui du marché ?
Renaud Camus : Le premier totalitarisme, c’est le remplacisme global ! Qui est encore me semble-t-il plus puissant et plus agissant que l’islam. Mais ils seront fatalement en rivalité. Dans mon interprétation, ils sont actuellement dans ce que j’appelle un pacte germano-soviétique, c’est-à-dire qu’ils sont dans une alliance très paradoxale… Car rien n’est moins anti-remplaciste que l’islam ! L’islam n’est pas du tout remplaciste, il veut bien être remplaceur, mais ne veut pas du tout être remplacé. Entre les identitaires et les islamistes, au moins ils se comprennent très bien, ils ont la même conception des choses !
A propos du pessimisme de Renaud Camus
Elisabeth Lévy : Alain Finkielkraut – qui vous a toujours défendu – a une objection pour Eric Zemmour qui pourrait également vous être adressée. Je vous la livre. Votre discours est dans le fond désespéré. Il n’offre aucun espoir : la seule perspective, c’est l’effacement ou la guerre civile. Une alternative qui n’est guère attrayante. Qu’est-ce que vous répondez à cela ?
Renaud Camus : Il y a beaucoup de choses à dire ! Si tel est son reproche, il me semble qu’Alain Finkielkraut tombe dans le panneau qui me semble absurde des gens qui traitent ceux qui parlent du déclin de “déclinistes”. C’est le comble de l’absurdité ! Je dis que nous sommes en déclin, ce qui me semble l’évidence même et à tous les points de vue (de l’intelligence, de la beauté, de la culture, de la conscience politique…). Les gens qui relèvent cela se font traiter de déclinistes comme s’ils étaient les partisans du déclin. Pas du tout ! Il faut bien faire le constat pour réagir, et pour lutter contre ça. Ceux qui parlent du déclin sont les “anti-déclinistes” par excellence. Tout comme ceux qui parlent du “grand remplacement” sont les anti-remplacistes par excellence ! Ce n’est donc pas du tout désespéré. Si j’étais désespéré, est-ce que vous pensez que je me livrerais à toutes ces absurdités comme fonder mon parti ? Je pense que les combats s’engagent très mal, j’ai une vision très sombre de l’existence. Je pense que s’ils sont perdus, on va vers un monde épouvantable, ce que j’appelle le bidonville global dont on voit déjà force exemples à travers le monde. La tyrannie, la violence, l’hébétude… le fait que les gens ne comprennent même plus ce qu’ils disent ou ce qu’ils pensent… Je le crois très fort. Mais je crois qu’il faut réagir de toutes nos forces contre ça. Ce n’est pas être désespéré, c’est être dans l’action, avec mes maigrissimes moyens.